Coup de gueule d’une ex-pute II

(05/05/2013 by Artémise)

Ne pas flatter le client, lutter contre le sexisme, porter la parole des survivantes, client d’un jour client toujours, voir/étudier/parler aux clients et aux putes on connait, il n’y a rien à attendre de la compréhension des clients, s’ils pouvaient tous aller en tôle ce serait top, Spermufle parle et on l’écoute, un peu, Artémise se radine et les stats du blog explosent avec 22 000 visites en 48h.

L’abolitionnisme, un vaste programme. Il y a la loi, très bien, et puis… La prévention nous dit-on. Nous allons donc mettre en place une stratégie toute à fait innovante dont l’efficacité ne fait aucun doute, c’est-à-dire recueillir et mettre en avant les témoignages des survivantes de la prostitution. Et oui, il ne suffit pas de légiférer pour les aider, éduquer les clients voilà la solution, et faisons le en leur donnant à lire ce qu’ils ont déjà sous le nez depuis un bail mais dont ils se contrefoutent, vous reprendrez bien encore un peu de témoignages de survivantes avec votre amende monsieur Caubère ? (je me marre mais lui aussi, surtout lui). La logique veut donc que si une chose ne marche pas il reste à insister, encore et encore, pas moyen d’envisager autre chose non, pis ça finira bien par se faire, hardi camarades !

Je ne m’expose (ici et sur twitter) que depuis quelques semaines, mais voilà bien longtemps que je scrute les débats sur la prostitution. Logique : je suis partisane, du genre Abolitionniste pour être plus précise. C’est une cause que j’estime juste et nécessaire, mais qui est malheureusement discréditée par un type particulier d’Abolitionnistes : les théoriciens-instrumentalisateurs.

Les seuls témoignages de putes qui les intéressent se situent uniquement dans le registre du ressenti brut, sans distance et sans théorisation, à croire qu’une pute pensante est un oxymore. Pour ce qui est des clients, mes gentils-copains-abolos prisent les récits permettant la diabolisation (archétype-repoussoir) donc pas de clients «repentis» pensants. Manquerait plus qu’un client risque de s’identifier à un ex-client, mais où irions nous ma bonne dame ? * Ce ne serait là que vile flatterie faite à ces irrécupérables prostitueurs, une manière de renforcer le Patriarcat. Les (ex)clients ont tout de même une petite place sur le perchoir des discours lisses et bien policés, à partager avec leurs homologues (ex)putassières. Ces abolitionnistes théoriciens, que l’on retrouve parfois sur le terrain mais qui apparemment sont infichus d’en tirer quoi que ce soit, craindraient-ils de voir leur utilité remise en question, voire pire, d’être supplantés ?

Ex-macho devenu militant Féministe

Ex-macho devenu militant Féministe

Des gens qui parlent sans cesse de déconstruire les rapports de force (Patriarcat, Capitalisme), mais qui ne cessent eux-même jamais d’y évoluer. Au point de plaquer leurs préjugés sur nous (Artémufle) en pensant que la parole de l’un doit nécessairement être subordonnée à celle de l’autre, incapables qu’ils sont d’envisager ce que peut être une collaboration égalitaire. Le plus drôle dans tout cela est que ladite collaboration trouve ses racines bien loin du schéma « Spermufle/Artémise (devrait) instrumentalise(r) Artémise/Spermufle » : ce blog est mon idée, Spermufle l’a amorcé, chaque article depuis sa création a été discuté/travaillé ensemble, notre travail est quasi entièrement commun et basé sur la synergie (Action où l’effet cumulatif de deux composants d’un mélange est plus important que la somme des effets individuels des composants).

Et puis évidemment, comme trop souvent on va se focaliser sur le messager et non sur le message, en somme la posture, quand c’est l’un qui parle d’une voix virile et en tapant violemment du poing sur la table c’est du mansplaining, quand c’est l’une qui s’exprime d’une petite voix charmante, douce et modulée c’est une parole légitime et qui mérite d’être relayée. Sachez d’ailleurs que mes ovaires vous en sont infiniment reconnaissants. En plus que de ne pas être très antisexiste comme attitude cela revient aussi à valider à peu près tout ce qu’on reproche aux politiciens (valorisation de la posture comme fin en soi). Tout ceci donc ne me donne pas spécialement envie de rejoindre le milieu militant Abolitionniste ; sans compter qu’avec la fâcheuse tendance, propre à pléthore de militants de tous bords, consistant à prôner des bonnes causes avant même de les avoir intégrées à leur fonctionnement, on peut être sûr que finalement le but ne sera pas de diminuer l’impact des rapports de pouvoir mais seulement qu’ils soient modifiés à leur avantage. On pourrait donc au passage se demander s’ils n’en ont pas complètement rien à cirer du sort des prostituées, et par extension de faire réellement évoluer la cause du Féminisme dans son ensemble. Je ne cautionne pas cela, non merci, et pour tout dire je crains bien plus d’être instrumentalisée pour servir à de petites ambitions personnelles que de lâcher mon anonymat.

Je préfère de loin sortir du bois sans escorte, sans stromboli et ses ficelles qui entraveraient ma voix sous prétexte de la faire entendre sur la scène du militantisme. Je préfère tout simplement porter moi-même mon discours dont la cohérence et l’honnêteté valent bien à mes yeux de n’être jamais engluées par l’adhésif des étiquettes que d’autres acceptent si complaisamment, ou vont coller, par arrivisme et paresse intellectuelle. D’aucuns me diront que je suis bien prétentieuse pour affirmer que notre parole puisse avoir une valeur particulière, d’autres trouveront que je suis injuste de prétendre qu’il n’est pas si difficile d’apporter un regard neuf et inédit sur la problématique de la prostitution. Je leur répondrai : je viens justement de le faire.

L'abolo-militantisme traditionnel nous conduit dans le mur, car le STRASS remporte la bataille médiatique

L’abolo-militantisme traditionnel nous conduit dans le mur, car le STRASS remporte la bataille médiatique

* NDSpermufle : Artémise fait référence à une discussion que j’ai tenue avec une militante Féministe et membre éminente du Front de Gauche, à qui j’ai exposé mon projet littéraire. Il a été question de la misère sexuelle des clients (facteur/prétexte du passage à l’acte) à travers l’extrait proposé par l’éditeur. Puisque je relate mon parcours (progression narrative retraçant une évolution psychologique), il me semble capital de relater mon état d’esprit à cette époque, pour montrer comment, au fil des mois, j’ai découvert que cette misère n’était absolument pas résolue par la fréquentation des prostituées. Que « posséder » le premier corps venu ne réglait en rien des problèmes qui se situaient en amont. Et, surtout, que mon bon plaisir ne justifie pas de contribuer à la destruction d’autrui. En d’autres termes, il s’agit d’inciter mes homologues masculins à ne PAS aller aux putes ; effort de prévention nécessaire pour accompagner une loi de pénalisation. Les machos écoutent davantage les autres hommes que les femmes, fussent-elles d’anciennes prostituées. Il faut donc créer un phénomène d’identification (« Je sais ce que tu ressens, je suis passé par là, mais je vais te démontrer que tu fais fausse route »). Tenir compte de cette réalité me paraît essentiel pour réduire la demande prostitutionnelle ; c’est d’ailleurs l’approche adoptée par l’association Zéro Macho (dont la marraine Florence Montreynaud a réservé un fort bon accueil à Artémise au cours d’une réunion – sans récupération ni instrumentalisation).

Mon interlocutrice a formulé un vif désaccord : selon elle, ce chapitre introductif s’inscrirait dans une démarche de complaisance à l’égard des clients et du Patriarcat (on se demande alors pourquoi ces Messieurs m’ont flanqué des seaux de vomi en réaction à mon torcheboule sur rue89). Revendiquant abusivement son appartenance au Nid pour crédibiliser magiquement son discours (aaaaah les étiquettes !), elle a également ajouté qu’une loi Abolitionniste suffirait à régler le problème. « Les clients vont ainsi arrêter de voir des prostituées et gérer leur problème de solitude ». J’ai formulé une série d’objections – toutes balayées d’un revers de main. Pourtant, quiconque connaît un tant soit peu cet univers peut aisément réaliser les conséquences de la future loi abolote. Le racolage sur Internet s’intensifiera (annuaires d’escorts hébergés sur des sites étrangers ; pour les sites Français, phrases codées pour contourner la surveillance prévisible). Les clients afflueront dans les bordels frontaliers : le prix d’une passe en Catalogne ou en Allemagne est très abordable, deux à trois fois inférieur au prix du train – sachant en outre que les clients organisent des covoiturages via « leurs » forums, on réalise qu’une simple loi n’aura aucun effet dissuasif (il se peut même qu’un séjour touristique sexuel soit plus abordable qu’une passe avec une escort Parisienne – j’en avais parfois pour 250€ de l’heure). Sans parler de ces Belges qui louent leur épouse à des groupes d’hommes pour 50€ – boissons incluses dans le gang-bang. A peine plus cher qu’un Paris-Liège sur Trocdestrains, viens-je de remarquer…

Bref, j’ai eu affaire à une militante Abolitionniste dont le degré d’implication et les responsabilités sont inversement proportionnelles à sa connaissance du terrain (donnant ainsi du grain à moudre à ses opposant-e-s Réglementaristes). Militante qui préconise une politique dont on sait d’avance qu’elle se révélera inefficace. Son dogmatisme traduit un manque évident de curiosité pour le phénomène prostitutionnel et ses rouages ; on peut légitimement se demander si cette cause n’est pas qu’un simple support au service d’ambitions (politiques, entre autres). 

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6 commentaires pour Coup de gueule d’une ex-pute II

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  2. Ju dit :

    j’aimerais bien qu’on me dise pourquoi les mvts abolos francais n’ont pas d’ex-prostituees a leur tete ou en tous cas de responsabilite elevee dans les assos, de pouvoir de decision sur la strategie. on nous dit que c est parce qu’elles ne veulent pas prendre de risques par rapport aux proxos notamment. pourtant y en a dans les pays anglo-saxons, les proxos US et GB seraient donc moins feroces ?

  3. sainkho dit :

    c’est en train de venir en France également. et oui toutes les ex prostituées ne sont pas forcément assez solides ni volontaires pour afficher leur ancienne vie qu’elles veulent la plupart du temps oublier. le tendance est donc à fuir la médiatisation sous peine d’y rester enfermée. ça parait pourtant facile à comprendre non ??? imaginez que vous vouliez vous reconstruire une vie après 10 ans d’enfer… les femmes ex prostit qui se sont engagées en politique sont toutes abolitionnistes… Marthe Richard à son époque pour ne citer qu’elle. une députée en Suisse et il y en a aussi à l’échelon européen

  4. Damn_the_road dit :

    Féministes pro-sexe : gauche neuneue utopiste et violente
    Féministes abolitionnistes : gauche télérama qui brigue des places

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